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Mémoires d'un solibataire

1 mars 2015

Perceval de l'Amour...

L'acte manqué... Un sujet déjà évoqué ici par petites touches. Je ne parle pas directement de la notion psychanalytique de l'acte manqué, encore que l'aspect que j'évoque n'y est pas complètement étranger. L'acte manqué auquel je pense me rappelle une péripétie des aventures de Perceval. Lorsqu'il arrive dans le château du Roi Pécheur, il lui est fait bon accueil bien que la forteresse paraisse désolée. Au cours du banquet, une procession interrompt les conversations. Perceval ne comprend goutte à ce qui se déroule sous ses yeux. Il voudrait poser des questions mais il ne sait comment les formuler. Il se rappelle en outre les recommandations de sa mère l'invitant à ne pas importuner ses hôtes. Aussi reste-t-il muet. Cependant, la procession achevée, nul n'évoque l'apparition et la fin du banquet est précipitée. Le lendemain, à son réveil, la citadelle est plus désolée qu'à son arrivée. Avec amertume, Perceval est congédié, à cause de son silence. Il comprend avec retard que le Graal lui est apparu la veille.

 

Cette question en suspens, ce mutisme, cette timidité, même, qui me saisissent souvent, font écho au conte du Graal et à la mésaventure de Perceval. Oh, je ne vois aucune procession. Je me rattache seulement à cela sous l'angle métaphorique. Il y a des circonstances où l'interrogation qui m'assaille mériterait d'être formulée. Je ne crains pas un refus. Je redoute de rompre le charme d'une conversation agréable et, souvent aussi, insipide. Le genre de discussion qui finit par tourner en rond au fil des heures mais que l'on prolonge pour repousser le moment de la séparation. Je suis de ceux pour qui "l'occasion fait le larron". Je sais, c'est mal, sans doute. J'attends une ouverture dans le flot des paroles, un mot ou une idée lancés par mon interlocutrice qui me permettraient de dévier le cours tranquille de l'échange. Qu'y trouverais-je ? Du nouveau comme les voyageurs baudelairiens. Un refus certainement. Une excuse peut-être. Un acquièscement ? Je rêve. J'imagine cet instant comme la survenue du dénouement d'une intrigue, tandis que la conversation poursuit son cours. Le mot, l'idée, le prétexte ne viennent pas. Et nous nous séparons plus ou moins bons amis selon les cas. Des cas si rares, en toute hypothèse. Des circonstances obligatoirement gâchées par le doute, l'incertitude et l'irrésolution.

 

Je ne saurais jamais ce qui se cache ou pas dans la tête, ou pourquoi pas (soyons fous !) dans le coeur, de celle qui n'est chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. J'imagine bien que, parfois, et seulement parfois, une semblable interrogation peut exister chez l'autre. Elle attend sans doute que je fasse le premier pas. Les moeurs évoluent, paraît-il, mais le mythe de la Belle dans sa Tour persiste... Je ne m'appelle pas Charles et je ne suis pas Téméraire. Comment concilier l'audace, si rare chez moi, avec ce discours, si commun de nos jours, selon lequel la moindre avance est nécessairement une agression ? Je respecte le libre-arbitre et je suis un garçon trop bien élevé. J'en crève un peu plus chaque jour. Je suis chaque fois congédié comme le chevalier errant peut l'être de la forteresse du Roi Pécheur.

 

Faut-il en conclure que je suis le Perceval de l'Amour ? C'est pas faux.

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9 février 2015

Week end ordinaire d'un solibataire.

Voilà, l'horloge indique minuit. Une nouvelle semaine commence, alors que la précédente n'est pas digérée. Une de plus. Week end rime avec repos, dit-on. Je ne sais plus ce que signifie le repos. Je n'ai ni le repos du coeur, de l'âme et du corps. Sans doute ai-je le repos de la langue. Pour une fois, cette occurence anatomique n'a rien de sexuel.

 

A l'issue de cette semaine je me sentais fatigué. Je n'avais cependant, pas davantage que les autres semaines, envie de me presser pour quitter le travail. Celui-ci n'a rien d'enthousiasmant mais il me garde plus ou moins à l'abri de mes idées noires. Sauf à considérer le départ avancé des collègues. Ils se font une joie du week end. Pour moi, le cauchemar commence si tant est qu'il ne soit jamais achevé de jouer. C'est l'annonce d'une soirée désoeuvrée à rechercher une bonne raison de s'endormir. Rien qui ne me change de la semaine. C'est aussi la promesse de deux journées raccourcies, par voie de conséquence, par une grasse matinée forcée.

 

Vendredi soir désastreux. Impossibilité de mener une conversation sur le net. Rien que de très ordinaire. Photos, présentations, like, approche, rien n'y fait. Sortir ? Pour aller où ? A 41 ans, sortir signifie me confronter à de jeunes adultes, encore scolarisés ou débutants à Pôle emploi, à la mentalité de gosses de première année de maternelle dont la seule ambition dans la vie est de se faire admettre aux urgences pour coma éthylique. Je ne me fais pas de souci pour eux. Ils ne manquent pas d'amis et ils ont une vie sexuelle malgré cela. S'ils succombent à leur bêtise cela laissera de la place aux autres. De toute façon pas à moi. Donc les réseaux sociaux sont la dernière fenêtre sur le monde. Un monde peuplé d'imbéciles qui lorsque vous vous proposez à l'amitié vous innondent de leur loghorrée misandre. "Les hommes tous des salauds et des menteurs." Ce n'est pas à moi qu'il faut faire état de vos doléances, Mesdames. Mais à ces "salauds" auxquels vous accordez une conversation, une sortie et, quand l'envie vous prend, votre lit. Vu ma vie, je suis innocent. Les hommes vous font souffrir ? Bien fait pour vous. Vous avez épuisé ma réserve de compassion. Vous n'en avez pas pour moi, c'est un prêté pour un rendu.

 

Samedi, levé à plus de 11 heures. Envie de rien. J'ai pris mon café me nourrissant d'un cigare et de la lecture de mes mails. Un regard sur les réseaux sociaux, au cas où quelqu'un se rappellerait de mon existence où se demanderait si je suis encore en vie. Non, rien. L'heure tournait. Bientôt midi. Pas envie de manger chez moi en tête à tête avec moi-même. J'avais envie de bruits. Je vais me laver en espérant trouver de l'inspiration pour aller déjeuner. Mon choix se porte sur un troquet près du marché. Il est presque treize heures, ses cuisines fonctionnent tardivement, c'est de toute façon la seule option désormais. Salle bien pleine à mon arrivée. Difficile de distinguer aux bars serveuses et clients. Enfin on me remarque et je trouve une place au soleil, derrière la vitre. Bien agréable en ce jour de froidure. Je me nourris de frites et de tête de veau vinaigrette avec un verre de Reuilly. Le pied ! Le dessert se fait attendre. Il arrive au moment où je prenais la décision de lever le camp. Sortie à 14 h 30. Je n'ai parlé à personne hormis pour passer commande et payer la note en plaisantant : "Le dessert a été un peu long à venir." Le barman m'a regardé de biais avec ses yeux de veau. J'espère que ce n'est pas sa tête que l'on m'a servie. Trop tard pour avoir la nausée.

 

Je retourne vers le centre ville. j'espère croiser un visage de connaissance. Je m'arrête en chemin pour me réapprovisionner en tabac. Le patron est physionomiste et la boîte est à disposition sans même avoir besoin de la réclamer. Histoire sans paroles. Je reprends ma route. Rien, personne. Je veux dire personne de connaissance. Des couples, des familles, des groupes d'amis. Je ne m'invite pas là où je ne suis pas invité. Je vais à un salon des antiquaires. Je me dis que cela me passera le temps. Je rentre et m'arrête à l'accueil. L'hôtesse me regarde, interdite, comme si je tombais de la planète Mars. "Pour visiter le salon", dis-je. "Mais c'est payant !" Là, je me demande si j'ai vraiment une tête de clodo. "Je suis au courant, je vous remercie." Je lui donne les 4 euros de rigueur. Je flâne un long moment parmi des meubles et des bibelots. Un peu comme dans une brocante, la crasse en moins. Je quitte le salon au moment où le gros des flâneurs se pointe. Je prends le parti de flâner en ville en allongeant le chemin du retour en prenant des rues populeuses de droite et de gauche. Retour à la maison. Rien de vraiment urgent à faire. Retour sur le net entrecoupé d'allers et retours à la machine à laver. Un peu avant 20 heures appel de ma mère pour s'assurer que je vis encore. Le fait de décrocher doit la rassurer puisqu'en fait de nouvelles, elle se met à parler sans discontinuer pendant un quart d'heure. Elle évoque des noms qui ne me rappellent que rarement des visages et des faits dont, majoritairement, je me contrefous. Mais c'est un sacerdoce pour elle depuis que j'ai quitté la maison. Elle mérite une médaille sans doute. Et moi, largement, une pension d'ancien combattant... "A demain" sont à peu près les deux seuls mots qu'elle m'aura laissé placer dans son monologue où l'aigreur le dispute aux conspirations villageoises.

 

Dimanche, lever tardif. Même causes, même conséquences. Je resterai chez moi pour déjeuner. Deux oeufs aux plats que je finis par transformer en oeufs brouillés en retirant maladroitement les coquilles tombées malencontreusement dans la poële. "Quel con !" seront les seuls mots qui seront sortis de ma bouche ce jour. Re-net pour digérer, un peu avant une balade de 3 heures à travers la ville dans des zones vertes. Envie de rien. Parfois mon regard croise d'autres regards. La mine qu'on me renvoie me donnent à penser que je porte un nez rouge ou une corne au front. Mais non. Rien de ce côté là. Une cycliste croise mon regard. Je la recroise une demi-heure plus tard. J'espère malgré moi que nous nous recroiserons avant que je n'ai achevé le tour du lac. Mais non. Finalement elle pédale moins vite que je ne pensais. Retour par le centre-ville relativement déserté au regard de la veille. Halte dans une boulangerie industrielle pour pallier une fringale subite. Les oeufs ont été largement digérés. Retour à la maison pour sept heures de quête désespérée de conversation et d'espoir.

 

Un long post pour décrire le vide d'un week end ordinaire de solibat. Et demain qui est aujourd'hui je bosse. Je serais crevé. "Quel con !"

17 octobre 2014

Chère loque humaine,...

C'est à toi que je dédie ces quelques lignes. A toi ou, plutôt devrais-je dire, à moi, tant, à force de distance d'avec moi-même, j'en arrive à me considérer comme un autre. Je est un autre écrivit, un jour, un auteur dont j'ai oublié le nom. Ce n'était point César dont la Guerre des Gaules lui parut si étrangère, encore qu'il en fut l'acteur principal. Je ne me compare pas à César. Ne serait-ce parce que, contrairement à lui, je ne me suis pas fait Pompée. Je n'ai point l'âme d'un pervers d'Etat. Seulement celle d'un libertaire. Pourtant que fais-je de cette liberté ?

 

Je la transforme en solitude dès lors que j'accorde à l'autre la même liberté que je me concède. Liberté d'accepter un regard, d'entendre et de donner une parole, un gage d'intérêt ou d'affection. Je ne peux obliger personne à me regarder, m'écouter, me parler ou m'accorder l'amitié que pourtant je lui offre. Au lieu de quoi je traverse la vie en transparence, en étant incolore, invisible et inaudible. Les despotes sont semble-il heureux et leurs esclaves en redemandent.

 

Moi, je vous écoute cracher votre venin sur l'homme, entendez : le mâle. Souvenirs mal digérés de vies de couple en naufrage dès le premier regard. Je ne suis pas comptable de vos déboires, pas plus que de vos inconséquences. Je refuse, en raison même de mon solibat, d'être le bouc émissaire des faits et des dires de personnages qui ne sont pas moi. Ô vous qui me jugez, cessez d'être sourds, inconséquents et finalement abjects lorsque vous-même affirmez qu'il ne faut pas juger l'autre. Au lieu de me convaincre, convainquez-vous, vous-même, qu'il vaut mieux être seul que mal accompagné. Vous passez des heures ou des nuits au creux de bras qui vous réconfortent, des passades. Je n'ai pas de passade pour supporter ma solitude. Ce qui vous paraît facile pour vous est un luxe pour moi. Jouet du préjugé, du regard inquisiteur, de l'oreille inattentative et d'un esprit qui vous fait défaut, je suis, non point l'inconsolable, mais l'inconsolé. Heureux le chien errant qui bénéficie de mots doux et de caresses ! Heureux le détenu qui se marie et devient père ! Moi, je n'ai, paraît-il, aucune raison de me plaindre.

 

C'est vrai, j'ai une main. C'est vrai, j'ai le tabac pour tenter de fuir sur les chemins de traverse dessinés dans l'air par les volutes lourdes et grises. C'est vrai, je dispose de légions de bonne âmes, sourdes et aveugles, pour me répéter ad nauséam : "fais tes expériences."  Il y manque l'élément essentiel pour envisager une once de bonheur, aussi fugace soit-il, le catalyseur : l'autre !

 

Ce que vous ne comprenez pas doit-il nécessairement ne pas être ? Dois-je vous demander pardon d'exister, au risque de faire vaciller vos présupposés ?

 

Descartes se trompait sur un point. Il ne suffit pas de penser pour exister. C'est parce que j'existe que je pense. Ainsi je peux penser que je pense donc je suis. L'être prime ainsi la pensée dont il est le support. Ce qui fait l'être ce sont ses sens, aussi imparfaits soient-ils. Il n'est pas possible de priver l'homme de penser. Ce qui témoigne d'une pensée est l'expression de celle-ci. La répression de sa manifestation ne l'annihile pas mais la renforce. En revanche, priver un homme, entendez : un être humain, de ses sens revient à tuer son être et, en définitive, à le tuer lui-même.

 

Nous ne mourons pas que de vieillesse, ma chère loque humaine, nous mourons également de privations sensorielles.

28 août 2014

On ne nous dit pas tout !

Quand j'étais petit, on me dit un jour : "Si tu as besoin d'une main secourable, tu en trouveras toujours une au bout de ton bras." Je n'ai jamais cessé de me fier à cette sage sentence. A 40 ans, j'en use toujours. Pourtant, définitivement désillusionné, j'ai la désagréable impression d'avoir mal interprété cette formule.

19 août 2014

C'est la rentrée : Solibataire redouble !

Vacances mornes et en famille. Vacances de solitude intérieure, n'ayant que la nuit pour être soi-même et désepérément seul. Et la reprise arrive. Solibataire est aussi dévasté à son retour qu'il ne l'était en partant congés. Redoublement de solibat, donc.

 

 

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28 mai 2014

Annonce de profil

Homme célibataire et esseulé. Nous ne sommes malheureusement pas égaux face à l'amitié, la tendresse et la sexualité. J'en fais tous les jours, ajouterais-je les nuits, la triste expérience. Non, il ne suffit pas de travailler, de s'engager dans le monde associatif pour créer du lien et pour faire des rencontres. Je partage ici mon désarroi d'homme, de célibataire et de solitaire. Je ne suis pourtant pas un monstre ni intérieurement ni extérieurement. A 40 ans, à l'heure où j'écris ces lignes, à l'aune de toutes ces années où la solitude le dispute à l'ennui, je ne crois plus au hasard, à la rencontre. L'espoir s'éteint en moi. Je me sens inutile, plus transparent que jamais. Je n'attends pas de compassion ni de pitié. Je ne veux plus entendre ces compliments sur moi, si familiers et récurrents, s'ils ne me permettent pas de rompre avec la solitude et la misère sexuelle. J'éprouve toute l'absurdité de l'existence, d'une existence, la mienne, comme un palais ouvert aux quatre vents, comme un navire à la dérive vers son destin, les récifs qui mettront un terme cruel à son existence, son vide, son rien. Celles et ceux qui répètent ad nauseam qu'il vaut mieux être seul que mal accompagné même pour une vie, même pour une nuit, n'ont jamais connu la solitude. Ils n'ont jamais brûlé en esprit de baisers inconnus, de la chaleur des corps absents au cours de nuits sans fin. Ne méprisez pas les solitaires. S'ils vous semblent lointains, combien plus lointains vous leur semblez.

4 avril 2014

LE SIDACTION NE PASSERA PAS PAR MOI !

Mes week ends sont plus déprimants que mes semaines. Car, la semaine, le célibat et la solitude ne m'accaparent qu'en dehors des heures de bureau et des activités associatives. En revanche le week end est un moment où le solibat est le plus mordant pour le corps, le coeur et l'esprit. Cerise sur le gâteau, ce week end est totalement consacré au Sidaction. La chance...!

 

Programmes télés embués de sexualité, rues débordant de couples, de grappes d'amis entre lesquels courent les prêcheurs de bonne parole. "Vous connaissez le Sidaction ?" Et moi de répondre : "Bien sûr, je ne parvenais déjà pas à trouver de partenaires sexuels avant que tu n'existes en rêve dans l'imagination de tes parents, alors adolescents boutonneux quand le Sidaction a été inventé." 

 

Je ne me sens pas concerné par le Sidaction. Que l'on me pardonne de ne pas me sentir concerné. Les préservatifs sont un investissement à perte. Ils arrivent à péremption sans qu'il me soit besoin d'ôter le blister qui entoure le conditionnement.

 

Et pourtant je me damnerai pour me sentir concerné...

31 mars 2014

Ichtyologie de printemps

Je crois pouvoir dire : "je suis heureux !" Une phrase que je ne croyais jamais pouvoir prononcer un jour, pas plus que "non, tu ne mourras pas complètement idiot." Le ciel est bleu, les oiseaux chantent et mon corps se calque sur mon coeur pour danser la gigue. Je souris à en avoir mal aux mâchoires. Un sourire benêt et béat. Je ne marche plus, je vole.

Hier, je trainais ma mélancolie coutumière en ville. Je m'arrêtai sur un pont. Accoudé à la rambarde, je faisais des ronds de fumée en regardant la face ridée de la lune se mirant dans l'eau. Pensais-je vraiment à quelque chose ? Peut-être aux étoiles, à l'univers, au vide infini. Peut-être à rien de si formidable, chassant de mon esprit ce qui le met à la souffrance. J'étais là, désoeuvré, déprimé, résigné face à mon inanité. Je ne voulais pas regarder les couples et les familles dans cette rue passante. Je me forçais à perdre mon regard dans les eaux sombres. Résister à cette faille qui me ferait vaciller dans la détresse.

"Vous avez du feu ?" Je sursautai, tournant la tête machinalement. Elle sourit en voyant ma mine. J'étais surpris que ces mots me soient adressés en particulier. Je n'étais donc pas complètement transparent. Elle tendit une cigarette entre ses doigts, répétition muette de sa question. "Je... Oh, bien sûr !.. Un instant..." bredouillais-je en farfouillant dans mes poches toujours encombrées de mille choses inutiles. La flamme éclaira son visage tandis qu'elle se penchait. Elle tira une bouffée : "Merci. Ce n'est pas un briquet, c'est un sabre laser, ce truc." Je souris maladroitement : "Et pourtant je ne suis pas votre père." Ses lèvres esquissèrent un sourire étiré entre deux jolies fossettes. "Vous attendez le retour des sirènes où vous êtes dispo pour boire un verre ?" demanda-t-elle en soufflant un nuage de fumée bleue vers la rivière. J'étais hébété. "Non, euh, enfin, oui... Un verre c'est bien."

C'est ainsi que je me retrouvais aux côtés de cette femme. Elle s'appelait Tilapia, fruit d'un métissage improbable entre l'Arménie et le soleil levant. Sa veste de cuir posée sur une courte robe pailletée sombre lui donnait une distinction désinvolte. J'étais attentif comme toujours. Le solibat rend contemplatif. Je suivais les méandres interminables menant de ses talons à sa robe et de ses bracelets à son solitaire lové au creux de sa poitrine. Le souffle me manquait alors que je calais ma respiration sur la sienne. Pour ne pas penser au velouté de sa chair, je portais le regard sur son cou qui se perdait dans la jungle de ses cheveux longs et bouclés. Quand parfois ses yeux plongeaient dans les miens, je me perdais un instants dans leur eau sombre avant de chercher du regard mon verre, afin de ne pas passer pour le pervers du coin.

Je ne sais plus très bien de quoi nous étions en train de parler. Elle s'est penchée et m'a embrassé. Cela interrompit un de mes laïus interminables qui généralement n'intéressent que moi. Son baiser me convainquit avec assez d'éloquence du manque d'intérêt que  je portais à mon propre discours. Nous partîmes prolonger cette nouvelle conversation dans un lieu plus confortable.

Au matin elle était partie. Je ramassais quelques paillettes qu'elle avait essaimées. Celles-ci portaient encore son parfum fleuri qui la couvrait des pieds jusqu'à la tête. Je connaissais chaque pouce de sa peau. Elle avait imprimé en moi sa douce chaleur. Dehors le soleil chantait l'hymne du bonheur sur la terre. Rien ne pouvait plus advenir de mauvais.

Je me sens bien. Sur le pont où j'ai rencontré Tilapia, je trouve encore une de ses paillettes qui mène jusque vers elle. Dans l'eau, des poissons fraient entre les galets. Il en est un qui s'attarde. Je l'imagine m'interpelant. D'ailleurs mon mobile sonne. C'est Tilapia qui appelle. Je reconnais sa voix qui s'exclame :

"POISSON D'AVRIL !"

Humour de solibataire...

 

13 février 2014

Saint-Valentin ? Et alors ?

Dans le calendrier des solibataires, il y a des dates qui blessent plus que d'autres. Encore qu'un jour de solibat soit un calvaire en soi. Il est souvent question de Noël ou de Nouvel An en solitaire. Plus rarement il est question de la Saint-Valentin. Si ce n'était le tapage commercial autour de ce non-évènement, la pillule amère et quotidienne passerait mieux que d'autres jours. Mais, partout, à la radio, la télé, le net, la presse, les affiches, les restos et les commerces, nous nous prenons dans la face des montagnes de coeurs, de cupidons, d'anneaux enlacés et de couples souriants. Pas moyen d'y échapper. Evocations de tendresse, d'affection, de sensualité inaccessibles, étrangères et inconnues qui s'insinuent dans l'esprit, le corps et le coeur jusqu'au désespoir.

Certains passeront cette St Valentin avec l'être aimant et aimé. D'autres hésiteront encore la veille pour savoir s'il convient de la partager avec la blonde, la brune, la rousse, la noire, la blanche ou la jaune. Le solibataire, jusqu'au lendemain, pour sacrifier à cette mode, hésitera, quant à lui, entre la droite et la gauche en maugréant : "Je me tâte !"

 

8 février 2014

Un homme inachevé

Ceci n'est pas la caisse de résonnance de la théorie dite de "l'homme inachevé". Je ne parle pas de neurobiologie. Ce n'est pas non plus le témoignage d'une crise mystique mais l'expression d'un ressenti. Un homme inachevé ? Son antonyme est un homme complet, achevé ou fini. Parler de l'homme, autrement dit : parler de soi, revient à parler de l'autre, du monde et de leurs relations.

 

Avec Descartes, nous pouvons affirmer que nous n'avons pas besoin de l'autre pour exister. Cogito ergo sum ! Je pense donc je suis ! La pensée relève de l'intime et ne saurait s'aliéner. Encore que la sociologie pourrait nous contredire sur la base du mimétisme social, culturel, etc... Le libre-arbitre est, en effet relatif, pour Spinoza. Et si nos choix, manifestant ce libre-arbitre, ressentent le poids de la contrainte extérieure (nature, famille, communauté...), notre pensée ne saurait être épargnée par ce fardeau, elle qui détermine nos choix. Nous savons aussi que l'homme n'est pas une île complète en lui-même. Nous sommes des êtres sociaux et grégaires. Sans doute est-ce le reflet de la loi de la sélection naturelle de Darwin. Nous survivons en groupe, non pas isolément. Je pense donc je suis, seul, mais, au regard de ma nature, je ne saurais exister indépendemment du regard de l'autre. Ce regard, selon l'adage populaire, est le miroir de l'âme sans que l'on puisse déterminer s'il s'agit de celle de l'observateur ou de celui qui est observé.

 

Pris isolément nous sommes incomplets. Il n'est pas bon d'être seul. La formule vient de la Genèse. Adam, le premier homme, se voit associer un autre être, Eve. Peut-être ce texte d'essence religieuse n'a-t-il eu, à son origine, d'autre vocation que d'expliquer pourquoi le monde qui se présentait aux hommes de l'Antiquité était tel qu'il se manifestait à eux. Cette hypothèse en vaut bien une autre, après tout. Poser l'évidence est en soi le B-A BA de l'expérimentation scientifique. Mais on peut extrapoler bien d'autres choses. Notamment, comme le firent les premiers exégètes, affirmer qu'il y a une distinction de nature entre Adam et la seconde étape : Adam-Eve. Ici Adam serait un être complet, un homme achevé. Le couple Adam-Eve, donnant le jour à la distinction des sexes (anticipant la théorie du genre), marquerait quant à lui l'homme inachevé.

 

De là découle l'idée de cette moitié qui nous fait défaut. Moitié d'orange pour ceux qui sont d'humeur printanière. Cette moitié est la part de féminité dans l'homme, ainsi que la part de masculinité dans la femme. C'est une loi biologique mais aussi une loi magnétique, indépendamment de la part de subjectivité des coeurs, que l'union des contraires. Il s'ensuit une recherche pour réunir ces deux moitiés, non pour les additionner, mais pour retourner à une unité originelle, celle de l'homme complet ou achevé. Cette moitié est loin de l'image des contes de fée ou des mélos sirupeux. Elle est indépendante de son état-civil, de son matricule de sécurité sociale ou de son code RFID. Elle est "l'autre" dans son essence. L'autre essentiel, donc, parce que c'est elle.

 

Elle est ce regard qui nous est un miroir, celui de notre âme. Elle est la moitié qui révèle l'existence de l'être éthéré comme de l'être matériel, incarné. Elle est cette moitié sans laquelle nous ne sommes qu'imbécile, étymologiquement "bancal". Sans laquelle nous ne sommes qu'un homme inachevé.

 

C'est pourquoi nous avons besoin de l'autre pour exister, en-dehors de notre être intime qui nous est propre, personnel, à l'image de notre pensée flattant l'ego. A défaut, il nous manque une assise pour affirmer que nous sommes un être complet, achevé et épanoui. A défaut, nos marottes valent transfert, compensation et nous privent de leur intérêt véritable. Parfois, ces marottes se vident de leur attrait pour ceux qui recherchent le vrai et le juste, faute, car cela ne peut être qu'une faute, d'être armé pour accueillir cette moitié inconnue de nous-même, faute de l'entendre, faute de la voir, faute de la toucher. Faute d'être achevé.

 

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