Perceval de l'Amour...
L'acte manqué... Un sujet déjà évoqué ici par petites touches. Je ne parle pas directement de la notion psychanalytique de l'acte manqué, encore que l'aspect que j'évoque n'y est pas complètement étranger. L'acte manqué auquel je pense me rappelle une péripétie des aventures de Perceval. Lorsqu'il arrive dans le château du Roi Pécheur, il lui est fait bon accueil bien que la forteresse paraisse désolée. Au cours du banquet, une procession interrompt les conversations. Perceval ne comprend goutte à ce qui se déroule sous ses yeux. Il voudrait poser des questions mais il ne sait comment les formuler. Il se rappelle en outre les recommandations de sa mère l'invitant à ne pas importuner ses hôtes. Aussi reste-t-il muet. Cependant, la procession achevée, nul n'évoque l'apparition et la fin du banquet est précipitée. Le lendemain, à son réveil, la citadelle est plus désolée qu'à son arrivée. Avec amertume, Perceval est congédié, à cause de son silence. Il comprend avec retard que le Graal lui est apparu la veille.
Cette question en suspens, ce mutisme, cette timidité, même, qui me saisissent souvent, font écho au conte du Graal et à la mésaventure de Perceval. Oh, je ne vois aucune procession. Je me rattache seulement à cela sous l'angle métaphorique. Il y a des circonstances où l'interrogation qui m'assaille mériterait d'être formulée. Je ne crains pas un refus. Je redoute de rompre le charme d'une conversation agréable et, souvent aussi, insipide. Le genre de discussion qui finit par tourner en rond au fil des heures mais que l'on prolonge pour repousser le moment de la séparation. Je suis de ceux pour qui "l'occasion fait le larron". Je sais, c'est mal, sans doute. J'attends une ouverture dans le flot des paroles, un mot ou une idée lancés par mon interlocutrice qui me permettraient de dévier le cours tranquille de l'échange. Qu'y trouverais-je ? Du nouveau comme les voyageurs baudelairiens. Un refus certainement. Une excuse peut-être. Un acquièscement ? Je rêve. J'imagine cet instant comme la survenue du dénouement d'une intrigue, tandis que la conversation poursuit son cours. Le mot, l'idée, le prétexte ne viennent pas. Et nous nous séparons plus ou moins bons amis selon les cas. Des cas si rares, en toute hypothèse. Des circonstances obligatoirement gâchées par le doute, l'incertitude et l'irrésolution.
Je ne saurais jamais ce qui se cache ou pas dans la tête, ou pourquoi pas (soyons fous !) dans le coeur, de celle qui n'est chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. J'imagine bien que, parfois, et seulement parfois, une semblable interrogation peut exister chez l'autre. Elle attend sans doute que je fasse le premier pas. Les moeurs évoluent, paraît-il, mais le mythe de la Belle dans sa Tour persiste... Je ne m'appelle pas Charles et je ne suis pas Téméraire. Comment concilier l'audace, si rare chez moi, avec ce discours, si commun de nos jours, selon lequel la moindre avance est nécessairement une agression ? Je respecte le libre-arbitre et je suis un garçon trop bien élevé. J'en crève un peu plus chaque jour. Je suis chaque fois congédié comme le chevalier errant peut l'être de la forteresse du Roi Pécheur.
Faut-il en conclure que je suis le Perceval de l'Amour ? C'est pas faux.